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Monsieur le Ministre de la Santé et de la Prévention

Président de la Société Française de Chirurgie Orthopédique Pédiatrique et Président du Collège Hospitalo-Universitaire de Chirurgie Pédiatrique, je ne pouvais rester sourd aux multiples sollicitations et commentaires de collègues dont les équipes sont en difficulté, en particulier en Chirurgie Orthopédie Pédiatrique. Si comme médecin hospitalier je reste résolument attaché à cette institution, je déplore depuis longtemps, comme mes collègues, la dégradation du service rendu et des conditions de travail. Aujourd’hui il en va de la survie de certaines équipes, fortement mises à mal.

La chirurgie pédiatrique française est une des rares spécialités chirurgicales qui soit identifiée comme telle en Europe. En effet nombre de pays développés font traiter les enfants au sein des services adultes. Nous avons cette chance historique de services spécifiques et de praticiens qui leur consacrent exclusivement leur travail. Elle est répartie en 2 sous-spécialités : la chirurgie viscérale et la chirurgie orthopédique pédiatriques.

La chirurgie pédiatrique demande une haute technicité. Elle est essentiellement exercée à l’hôpital public et dans très peu d’établissements (le plus souvent universitaires – environ 50). Cette chirurgie très spécialisée est dépendante du système hospitalier et de la qualité de son fonctionnement. La situation actuelle des hôpitaux en France est bien connue et les services de chirurgie pédiatrique, comme les autres, pâtissent des difficultés en personnel et en moyens.  Cependant, une particularité expose plus encore la spécialité : ces services sont le plus souvent de petite taille, dotés de faibles effectifs médicaux et des ont des niveaux d’activité bien en deçà des résultats financiers des autres spécialités (plus dotées en effectifs et en patients).

Pourtant, le service rendu est au premier plan. En effet, cette spécialité peu répandue répond aujourd’hui à la prise en charge de la quasi-totalité des traumatismes et pathologies chirurgicales courantes ou rares des enfants. La chirurgie pédiatrique est une chirurgie de recours pour les 12 millions de français de moins de 15 ans. Cependant, la densité de chirurgiens pédiatres (362 en France) n’est que de 2 pour 100 000 enfants de moins de 15 ans répartis sur les deux sous spécialités (Données Conseil de l’Ordre des Médecins : densité chirurgicale moyenne : 31,3 pour 100 000).

Durant la période de pandémie récente, les services de chirurgie pédiatrique ont payé leur tribut aux restrictions d’activité. La première conséquence a été l’allongement des listes d’attente et, dans nombre de cas, une perte de chance pour ces patients, en raison de la croissance qui aggrave souvent les pathologies. La crise actuelle impose à de nombreux services de fonctionner dans des conditions de « procédures dégradées » limitant encore les   possibilités d’interventions chirurgicales. Les conséquences sont donc graves.

La démographie médicale est catastrophique et cela aura pour conséquence une grave pénurie de médecins pour les 15 années à venir. La situation est encore plus préoccupante en chirurgie pédiatrique. La quasi-totalité des services sont en souffrance en raison de la charge de la permanence des soins et du nombre insuffisant de praticiens. Or il n’y a pas d’alternative, il n’y a pas de suppléance suffisante à espérer de l’activité privée (13% de l’offre).

La gouvernance hospitalière se retranche derrière la pénurie paramédicale pour expliquer les difficultés. Elle omet de reconnaître qu’elle garde la main sur les investissements susceptibles de maintenir les moyens et les effectifs des spécialités de rec ours. Mais les choix faits sont bien différents de ceux attendus. Les directions, soumises à la pression budgétaire, font le choix de favoriser les spécialités rémunératrices pour l’hôpital. (Les mêmes pratiquées avec succès dans le privé). Mais est-ce le rôle de l’hôpital public ? Ne doit-on pas attendre de l’hôpital, au contraire, des efforts pour soutenir les activités de recours ? La paupérisation des conditions de travail dégrade l’attractivité de la spécialité et la qualité de la prise en charge des patients qui n’ont que l’hôpital public.

Les spécialités de recours sont aussi défavorisées dans la répartition des moyens hospitaliers car mal représentés dans les institutions, faute d’effectifs, et ne produisant qu’une faible partie de l’activité hospitalière. En grande difficulté démographique, elles deviennent moins attractives et souffrent du manque de projets innovants, faute de moyens attribués car peu ou pas rentables.

Seulement 23 postes (pour les deux sous spécialités) sont offerts en France chaque année aux jeunes internes, un niveau bien insuffisant (Données Conseil de l’Ordre des Médecins : taux de progression des effectifs en chirurgie pédiatrique parmi les 10 derniers).

De même, la dégradation des conditions de carrière hospitalo-universitaires : règles de recrutement et statut, est telle que non seulement les effectifs médicaux sont trop réduits, mais les jeunes médecins refusent de s’engager dans l’enseignement. Dans quelles conditions sera enseignée notre spécialité ?

            De nombreux services de chirurgie pédiatrique sont concernés par une ou plusieurs de ces difficultés. Faiblesse des effectifs, restrictions d’accès au bloc opératoire, absence de vocations, absence d’attractivité faute de moyens. Les équipes en sont fragilisées et les patients pâtissent de retards accumulés dans la prise en charge.

Il est urgent que la tutelle prenne la mesure des difficultés auxquelles sont confrontées les spécialités de recours qui sont, plus que les autres, mises à mal par cette crise hospitalière majeure qui ne se résume pas à la disponibilité des infirmières ou à la problématique des urgences, mais qui est constituée d’une crise profonde de considération pour la mission de l’hôpital que la gouvernance hospitalière semble négliger au profit de la gestion financière aveugle des établissements.  Il n’y aura pas, c’est certain, d’hôpital du futur sans une gestion raisonnée des hôpitaux et de la carte sanitaire, mais cela doit-il se faire au détriment des spécialités de recours qui souffrent encore plus de la crise actuelle ? Pour la chirurgie pédiatrique, cela conditionne l’état de santé des enfants d’aujourd’hui qui sont les Français de demain.
En fallait-il plus pour s’indigner ?

Notre spécialité attend des tutelles et des gouvernances hospitalières :

  • Une règlementation des effectifs minimum par équipe afin d’assurer dans des conditions normales et supportables la permanence des soins,
  • Une sanctuarisation des moyens de fonctionnement et d’équipements spécifiques à notre activité,
  • Une réelle prospective et un soutien financier au renouvellement des cadres universitaires indispensables à l’enseignement et à la recherche en chirurgie pédiatrique.

Pr Bruno DOHIN, CHU de Saint Etienne,

Président de la SOFOP,

Président du Collège Hospitalo-Universitaire de Chirurgie Pédiatrique.


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